En mai 1984, la question de la violence dans les dessin animés est déjà posée et Dorothée en est le premier témoin … ou l’accusée.



Le 05 décembre 1988, Ségolène Royal, alors députée PS des Deux-Sèvres, s’entretient avec William Leymergie et Brigitte Simonetta, tous 2 ex-animateurs de Récré A2 premier diffuseur de mangas, à propos d’un amendement qu’elle va proposer pour la protection des enfants concernant la violence dans les programmes de télévision.

La future candidate à l’élection présidentielle de 2007 s’oppose à la violence à la télévision notamment dans les émissions pour enfants. En ligne de mire, le tout-puissant « Club Dorothée » de TF1 et l’ère des mangas, tout droit venus du Japon qu’elle dénonce dans son ouvrage, « Le ras-le-bol des bébés zappeurs » paru en octobre 1989.
« Il y avait dans la télévision d’ « avant » des règles simples. Il y avait les gentils et les méchants. Et, en général, le gentil, le héros, tuait moins que les autres. Il gagnait aussi parce qu’il était le plus malin. Et puis il s’occupait de la veuve et de l’orphelin, ou de l’animal blessé.
Dans les dessins animés et les séries japonaises (du moins ceux que l’on voit sur les chaînes commerciales françaises), ou dans certaines séries américaines, tout le monde se tape dessus. Les bons, les méchants et même ceux qui ne sont rien, les figurants de la mort. Le raffinement et la diversité dans les façons de tuer (explosions, lasers, commande à distance, électrocutions, animaux télécommandés, gadgets divers…) se sont accompagnés d’un appauvrissement des caractères, d’une uniformisation des héros, dont la seule personnalité se réduit à la quantité de cadavres alignés, ou à la couleur de la panoplie du parfait petit combattant de l’espace. »

« Comment ne pas penser à tous ces gosses des banlieues, cloîtrés entre quatre murs de béton, privés de vacances, et qui n’ont que la télévision pour rêver et pour s’évader, enfants abreuvés de violence, de laideur, de médiocrité.
Pauvre monsieur Bouygues, vous avez imprudemment dit « ni japonais, ni violent »? Ce n’est que coups, meurtres, têtes arrachées, corps électrocutés, masques répugnants, bêtes horribles, démons rugissants. La peur, la violence, le bruit. Avec une animation minimale. Des scénarios réduits à leur plus simple expression. »

Voila pour ce qu’elle dit notamment sur les dessins animés avant de s’attaquer à TF1, AB et Dorothée.

Indépendamment de la rémunération versée à Frédérique Hoshedé (Dorothée), TF1 achète en effet à AB Productions 500 heures de programme à 125 000 francs l’heure. Auxquelles s’ajoutent 240 heures d’émissions pour « Dorothée Vacances », facturées à un tarif comparable.
L’opération est surtout juteuse si l’on tient compte des entrées indirectes. D’abord, les chanteurs qui participent à cette émission sont, bien sûr, le plus souvent sous contrat chez AB Productions pour leurs disques, albums, jeux. Sont également exploitées les cassettes de dessins animés. Et même… le 36 15 Bioman! Sans parier du magazine, aussi niais que les émissions (rien n’y manque dans le premier numéro : extraits incompréhensibles de dessins animés japonais, tarte à la crème dans la figure, chasse d’eau sur la tête et aussi une incomparable rubrique : comment enlever ses points noirs !). (…)Dès lors, la logique est simple : pour gagner davantage d’argent, il faut acheter au moindre prix, chez les grossistes japonais, tout ce qui fera le fond de la programmation, et débiter des kilomètres de pellicule déversant la peur, le sang et les larmes, entrecoupés de publicité et entrelardés de petites saynètes, affligeantes de bêtises (chasses d’eau sur la tête; animateurs déguisés en bébés; croissants mordus, tartes à la crème…).


Le CSA a effectivement épinglé le « Club Dorothée » à plusieurs reprises:

Le 15 avril 1990 : Le Conseil supérieur de l’audiovisuel a constaté sur TF1, dans le Club Dorothée , que le dessin animé japonais « Muscleman » met en scène un personnage affublé d’un symbole nazi.
Celui-ci porte un maillot rouge, orné en son centre d’un disque blanc dans lequel s’inscrit une croix gammée noire. Il est le compagnon du héros et l’aide à combattre ses ennemis. Il n’est pas acceptable qu’un symbole nazi soit présenté sous un jour favorable. Le Conseil a donc demandé à TF1 que de telles images ne soient plus diffusées.

Le problème de « Muscleman » n’est ni son humour — ultra référencé et aux tendances pipi-caca — ni sa violence — pas forcément plus prononcé que d’autres séries — mais les vêtements de deux protagonistes.
Muscleman est laid, procrastinateur et maladroit. Il est aussi un guerrier interplanétaire doté d’une puissance formidable. Son objectif est d’atteindre la reconnaissance digne d’un super héros, tout en restant sur terre, et en présidant le club des mangeurs de viande. Cette quête l’emmène dans de folles participations à des tournois de catch mondiaux puis intergalactiques. Les différents personnages qui s’affrontent sur le ring viennent de différents pays (ou planète) et sont, par conséquent, visuellement très stéréotypés. C’est là qu’arrive le catcheur allemand Brocken. Il s’habille en haut dignitaire militaire nazi, avec un brassard évocateur. Mais heureusement, Ramenman lui inflige une défaite digne de ce nom. Le problème vient de son fils, le catcheur Broken Jr. Pour son allure vestimentaire, il s’inspire de son père, sauf que le svastika qu’il arbore est sans conteste une croix gammée nazie, qu’il porte fièrement sur le torse. Par conséquent, les responsables d’AB, à l’époque, décident de ne pas diffuser certains épisodes. Mais Brocken Jr. finit par passer dans le camp des gentils de l’histoire. Et c’est là que le bât blesse. Le CSA interdit donc Muscleman en avril 1990. 104 épisodes des 137 produits ont été doublés, mais seulement 49 sont diffusés. Et c’est probablement aussi pour toutes ces raisons qu’aucun éditeur ne publie le manga en France.

Le 17 mai 1991, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a condamné TF1 à diffuser le 28 mai, immédiatement avant le journal de 20 heures, le communiqué suivant: « Les 5 décembre 1990 (« Dragon Ball ») et 3 janvier 1991 (« Superboy), dans le cadre du Club Dorothée, TF1 a diffusé des émissions comportant des scènes de violence ou de sadisme. De telles scènes, diffusées au cours d’émissions destinées aux enfants, peuvent heurter gravement leur sensibilité. Conformément à la loi, le Conseil supérieur de l’audiovisuel demande à TF1 de prendre les mesures nécessaires pour que de telles fautes ne se reproduisent pas (…)Le communiqué dont le texte est fixé à l’article 1er sera diffusé immédiatement avant le journal de 20 heures, le 28 mai 1991. Il sera clairement lu et affiché à l’écran de façon lisible. Il restera présent à l’écran pendant le temps nécessaire à sa lecture. Il ne sera accompagné d’aucun commentaire écrit ou oral émanant de la chaine. »

Rappelons que le « Club Dorothée » diffuse également « Ken le survivant » une des séries les plus violentes jamais diffusée sous couvert de censure et de doublage pour répondre aux attentes du CSA. On ne peut qu’admettre que cet anime pouvait choquer les plus jeunes.


Voici le combat de Ségolène Royal s’adressant directement au PDG de la première chaîne:

« Cher monsieur Bouygues, convenez avec nous qu’il y a aujourd’hui beaucoup d’angoisse dans la vie d’un enfant ou d’un adolescent : conflits familiaux, travail scolaire, violence dans l’information, inquiétude pour l’avenir professionnel… Pourquoi donc en rajouter? Pourquoi ne pas leur donner la part de rêve et de tendresse, pourquoi ne pas préserver un peu d’enfance dans vos jeux d’adultes?
Comprenez même que vous pouviez gagner autant d’argent en respectant l’enfant. Parce qu’il aime le beau, le gai, le drôle, la nature, les animaux, l’aventure, la crainte qui se termine bien. Les gentils et les méchants, mais en variant les genres. Alors, ne bétonnez plus leurs rêves. L’enfance n’est pas un gros chantier. (…) N’acceptez plus ce gâchis. Donnez un sens à votre Audimat. Imaginez ce que Dorothée aurait pu faire, avec le taux d’audience dont elle bénéficie, la popularité qui était la sienne, le crédit qu’elle conserve auprès des enfants, pour distraire, pour transmettre, pour émerveiller, pour apprendre… crédit qu’elle est en train de perdre à cause de ses excès commerciaux qui commencent à choquer, même ses « fans ». »

L’équipe de Dorothée riposte grâce à un sketch dans l’épisode 71 de « Pas de Pitié Pour les Croissants ». Le 21 mars 1992, Thierry Ardisson revient sur la polémique, Dorothée se défend comme elle peut…

Depuis Ségolène Royal a eu en charge plusieurs ministères: Ministre de l’Environnement de 1992 à 1993, Ministre déléguée à l’Enseignement scolaire de 1997 à 2000, Ministre déléguée à la Famille et à l’Enfance de 2000 à 2001 et Ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes handicapées de 2001 à 2002.
En 2007, elle est la première femme française à accéder au second tour d’une élection présidentielle, mais elle est battue par Nicolas Sarkozy, récoltant 46,9 % des suffrages exprimés.

Le 22 mars 2008, alors que Dorothée et son équipe sont enfin de retour à la télévision, « Classé confidentiel » sur M6 consacre un reportage dénonçant le conflit entre Ségolène Royal et l’équipe de Dorothée.

En février 2015, Bernard Minet sort sa biographie « Ma vie de folie » dans laquelle il règle ses compte et il en profite pour signaler que la croisade de Ségolène Royal contre le « Club Dorothée » lui a peut-être coûter sa place à la Présidence de la République.
Yann Barthès se saisit de l’affaire avec humour et prévient Mme Royal.

Le 13 mars 2019, dans son « Interview sans filtre » pour le magazine Télé-Loisirs, Vincent Labille demande à Ségolène Royal, venue promouvoir un nouveau livre, d’envoyer un message à Dorothée.


Source:
La 5ème de couv
Télé-Loisirs
Génération Club Do

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