Portrait d’une speakerine : Marie Talon

Speakerine : un petit métier disparu, inconnu des jeunes générations. Et pourtant, ceux qui les ont connues savent à quel point elles apportaient sourire et bonne humeur sur le petit écran.

Intéressons-nous à l’une d’entre elles.
Elle s’appelle Marie Talon et, à l’instar de plusieurs de ses consœurs, devient speakerine par hasard.
Professeur d’EPS, option danse (elle est titulaire du CAPEPS, l’un des concours de l’enseignement les plus sélectifs), elle décide de devenir comédienne et répond à une annonce pour un téléfilm sur FR3. Elle pense qu’il s’agit d’un casting pour un rôle de speakerine dans ce même téléfilm, mais elle est finalement retenue pour le poste et se retrouve à présenter les programmes dès septembre 1986. Cela ne l’enchante guerre, elle ambitionne toujours de devenir comédienne.
Elle décide donc d’officier d’abord sous le pseudonyme de Marie Fougeret afin de ne pas être trop cataloguée et que son statut d’animatrice d’antenne ne lui ferme pas les portes du cinéma. Elle exerce donc ce lumineux métier auprès de Caroline Tresca ou Dominique Alban sur FR3 et ensuite Valérie Maurice, Marie-Ange Nardi ou Lionel Cassan sur Antenne 2.

Pour l’été 1987, elle anime le prime « Sports Loisirs Vacances » sur FR3 en remplacement de Sylvain Augier.

Tout en continuant à animer les programmes, elle est repérée en octobre 1988 par Christophe Izard pour présenter sa nouvelle émission jeunesse tous les week-ends, « Câlin Matin ». Il faut dire qu’à l’époque, le service public piétine au niveau des divertissements pour les enfants.

En effet, rien ne résiste au géants AB et Disney qui opèrent sur TF1 ou au puissant Berlusconi de La Cinq. Marie se retrouve donc à animer cette émission tous les samedis et tous les dimanches matin, en compagnie de ses marionnettes Biboun puis Doudine, créées par Yves Brunier, le papa de Casimir.

L’émission se veut douce et tendre. Dans un décor de jardin, Marie se montre très maternelle et câline, on y retrouve des dessins animés visant un public très jeune : Hello Kitty, Barbapapa, Bogus, Mimie Cracra, Bibifoc… mais aussi une rubrique courrier, et épisodiquement des clips où Marie et les marionnettes reprennent quelques chansons françaises traditionnelles (à la manière de Discopuce).

Chaque émission a une trame, l’une des marionnettes a un souci et Marie, par sa patience et ses bons conseils parvient à la rassurer.

Si « Câlin Matin » s’adresse aux tout petits, les autres tranches d’âge ne sont pas en reste mais sont réparties dans les autres émissions de la chaine. C’est pourquoi les samedis matin, on voit se succéder « Câlin Matin », puis « Louf » (Groucho et Chico) et « Eric et Noëlla ». Les animateurs de ces 3 émissions seront d’ailleurs réunis pour la centième de « Câlin Matin ».
L’émission reçoit en 1990 le prix de la Fondation pour l’enfance. Et pourtant, elle est déprogrammée en février de cette même année pour être remplacée par « Oscar et Daphné ». Il faut dire qu’il est compliqué de résister face aux poids lourds de la concurrence. Le service public usera d’une bonne douzaine d’émissions (Eric Galliano allant jusqu’à en présenter au moins 5). Christophe Izard quitte le service jeunesse, il est remplacé par une certaine Marie-France Brière…
« Câlin Matin » sera passé relativement inaperçu. Il est vrai que le contenu était relativement peu inédit et s’adressait à un public vraiment jeune. Il faut néanmoins souligner que les dialogues étaient écrits par deux pédopsychologues : Patricia Chalon et Anne Dorville.
Marie Talon continue de présenter les programmes sur Antenne 2. C’est là qu’une nouvelle aventure (dans tous les sens du terme) s’annonce pour elle. Jacques Antoine vient d’acquérir un vaisseau de pierres au large de La Rochelle et est en pleine conception d’un nouveau jeu grandeur nature… Il lui faut un duo d’animateurs. On pense un temps à Sylvain Augier mais c’est finalement Patrice Lafont qui est retenu au casting. A ses côté, Marie Talon officie en tant que co-animatrice. Un rôle qui peut lui sembler idéal car il allie plusieurs de ses passions : le sport mais aussi la comédie, l’émission étant tournée comme un film d’aventure. Juillet 90 : début de la grande épopée : Les clés de Fort Boyard.

Les choses ne se déroulent hélas pas comme prévu : dès le tournage du numéro zéro, Marie fait remarquer au réalisateur qu’il n’a pas très bien compris les règles, ce qui met en colère Marie-France Brière, la directrice des divertissements d’A2 de l’époque. La première saison est assez différente des autres, l’émission est en rodage, les règles ne sont pas toujours bien définies et on sent que les animateurs ont des fragilités, aussi bien Patrice que Marie. L’un comme l’autre ont plutôt tendance à faire paniquer les candidats et ont du mal à se montrer encourageants. Après les 9 premières émissions, il est décidé que les audiences sont insuffisantes au vu des frais engendrés. On décide alors d’y opérer quelques changements, à commencer par l’animation, et c’est malheureusement Marie qui en fait les frais. Elle est remplacée par Sophie Davant. On lui reproche de s'être montrée trop défaitiste avec les équipes ; ce qui était aussi le cas de Patrice mais son humour assez décalé lui a permis d'acquérir un rôle de Maître du fort assez méchant très exploitable dans le contexte de l’émission, ce qui l'a sauvé.
Plusieurs rumeurs circulent sur son départ, elle se serait « foulé la cheville », aurait repris avec la rentrée des classes… toujours est-il qu’elle garde au final un souvenir très amer de son éviction qu’elle estime totalement injustifiée et qu’elle attribue entièrement à Marie-France Brière. Dans une interview, elle la définira d’ailleurs comme la « personne la plus idiote humainement qu’elle n’ait jamais rencontrée de sa vie entière ».
Parallèlement, les speakerines disparaissent petit à petit de l’antenne. Marie décide alors de se spécialiser et intègre le CLCF (Conservatoire Libre du Cinéma Français) où elle se forme au métier de réalisatrice.
Un choix visiblement judicieux puisqu’elle se retrouve ensuite en 1994 à la tête d’une émission culturelle de TV5 : Paris Lumière (devenue ensuite Voilà Paris). Pendant 5 ans, elle reçoit de nombreuses personnalités du théâtre, du cinéma, de la chanson, de l’art, du sport, de la littérature… toujours dans un lieu insolite de la capitale. Se confieront à elle : Tonton David, Annie Girardot, Nino Ferrer, Frédéric Mitterrand, Amélie Nothomb…

Forte de ses expériences, Marie devient alors réalisatrice indépendante et collabore avec des grandes entreprises telles que Total, Elf ou EDF. Communication interne, films institutionnels, court-métrages, journaux internes, corporate… Elle travaille également dans les milieux culturels et associatifs, on lui doit entre autres le film « Préjugé, quand tu nous tiens » pour l’opération Démocratie et « Courage » en 2005.

Elle ne se montre quasiment plus à la télévision, si l’on excepte sa participation à « La Cible » en 2004 avec Olivier Minne pour une « spéciale speakerines ». La voix off la présente d’ailleurs comme le plus beau visage de l’antenne. En revanche, elle n’apparait pas lors des émissions « Fort Boyard » spéciales consacrées aux anciens animateurs du jeu. Lors des 30 ans de l’émission, elle est citée à plusieurs reprises mais ne s’exprime pas. Elle s’oppose par ailleurs à la création d’une page Wikipedia.

C’est désormais comme autrice qu’officie Marie. Après avoir publié un beau livre consacré à l’œuvre du peintre et philosophe Henry Valensi en 2013, elle sort en 2020 son premier roman « Entre deux vendredis 13 » aux éditions Maia. Une interview sur YouTube lui est consacrée pour l’occasion.

La même année, elle écrit le scénario du film « Slalom » qui traite du harcèlement dans le milieu du sport, film nominé au festival de Cannes. Outre ses publications, elle exerce également la profession d’écrivain indépendant.

Une belle reconversion pour l’une des fées de la petite lucarne, qui aura eu la chance de connaître les grands moments de la télévision, à une époque où elle avait une dimension humaine.

Article écrit par Pierre. Un grand merci à lui.

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